"Il est deux voies par où l'homme ordinaire peut s'arracher à la "vie mutilée" :
l'une est le long apprentissage de la culture et des livres ; l'autre, plus
soudaine, imprévisible, peut s'ouvrir d'un coup ; et par cette brèche quelque
chose passe qu'il faut bien appeler par son nom : la pensée. Penser, c'est alors
sortir de l'existence quotidienne sans horizon, et n'y plus revenir. Penser
n'est pas échafauder des concepts ou produire des oeuvres : penser, c'est avoir
conscience de soi, et de ce que personne ne peut vous dicter votre vie.
La vraie pensée est involontaire. "Il n'y a pas de pont, écrit Gilles
deleuze, il n'y a que le saut."
Danièle Sallenave
in Le Monde du 10/07/1987
"Hommage aux fous"
"Tu n'as rien compris, la mort n'est pas la
simple fin de la vie, comme de fermer les yeux et de ne plus être, la mort c'est
le fouet autant que la peau fouettée jusqu'au sang, la révolte autant que la
chute, la rose autant que le poignard."
Hommage aux fous p.86 éd. Gallimard 1986
Il n'est certes pas aisé de reconnaître le visage de la mort. Une même
réalité, selon l'angle sous lequel nons l'abordons, peut très bien servir des
intérêts contraires. Cette réalité ne possède pas de valeur en soi ; sa valeur
naît du réseau des relations qui s'établissent entre elle/ et les autres choses,
entre elle/ et nous. Saisir ce réseau apparaît comme essentiel à notre
prétention de liberté. Que serait en effet la liberté sinon la capacité de faire
un bouquet avec l'irrémédiable ? Tâche difficile, car faut-il encore déterminer
l'irrémédiable.
"Chaque con devient raisonnable quand on lui fait
claquer le fouet au-dessus du dos, dit Dusa. N'importe quel veau a assez
d'esprit pour devenir ministre, mais, Monsieur le Juge, la sagesse et le
caractère, çà le bon dieu les a réservés aux fous."Hommage aux fous p.207
C'est dans le dédalle de cette conscience en quête d'elle-même que Cyril Dusas,
héros du roman de Jan Trefulka, va nous emmener. Ce vieil homme, vivant comme un
carcan le privant de toute liberté, sa vie ordinaire, décide un jour, au sortir
de l'hôpital, de tout quitter : femme, enfant, maison, village, passé...et
"d'explorer" une autre part de la vie. Que découvrira-t-il ? Peut-être,
simplement, que l'extra-ordinaire ne vaut pas plus, en-soi, que
l'ordinaire ! Mais peut-être faut-il parfois oser tenter cet écart : hommage aux
fous !!!
Jan Trefulka, intellectuel (littéraire), engagé politique (contre le régime
totalitaire communiste ; signataire de la "Charte 77" réclamant le respect des
Droits de l'Homme), sera interdit de publication pendant de nombreuses années.
Il a émigré en France en 1975.