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Max Frisch

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   Max   Frisch (1911-1991) suisse, de langue allemande

L'exercice d'un double métier, écrivain et architecte,
n'est évidemment pas toujours facile, malgré son effet 
salutaire. C'est moins une question de temps que d'énergie.
Ce qui me paraît salutaire, c'est le travail quotidien avec 
des hommes qui n'ont rien à faire avec la littérature, mais
ne m'en veulent pas, tant que le reste de mon travail est
en ordre. 

                                 Max  Frisch    Journal  1946-1949

      Architecte et écrivain... telle est bien, en effet, la réalité de Max Frisch. Le chantier, avec les intraitables lois de la matière ne pourra faire de Max Frisch qu'un écrivain bien spécifique.

Je me demande si l'intellectuel, ce malheureux qui
ne fait pas ce qu'il dit et souffre d'une incapacité
d'agir dont il est perpétuellement conscient, qui, 
enfin, pour que le monde le prenne au sérieux, tente
maladroitement quelque action sans rien ignorer
de sa balourdise, je me demande donc si l'intellectuel
n'est pas devenu un personnage de farce.
                                 Max  Frisch



      L'université, le monde de l'intellectuel par "excellence, Max Frisch n'aura le loisir de la fréquenter que fort peu de temps ; la mort de son père en 1933 lui fait interrompre les études de lettres qu'il vient d'entamer,  il n'a que 22 ans. Mais la nécessité devant laquelle Max Frisch se trouve de gagner sa vie, ne l'amène en aucune façon à une rupture de perspective. L'étudiant en lettres devient "journaliste" et sillonne l'Europe Centrale.

Je la traitais (Hanna) d'exaltée et d'artiste,
en revanche, elle m'appelait : Homo Faber
                                 Max  Frisch    Homo Faber 
p.56



         Il ne faudra cependant pas bien longtemps avant que Max Frisch reconnaisse non seulement les limites, mais peut-être surtout les "dangers" ou même l'impasse d'une telle situation d'artiste, d'une telle situation où tout se  situe au niveau du "langage".
     C'est ainsi, qu'en 1936 (25 ans), grâce au prêt d'un ami de la grande Bourgeoisie, il fera pendant cinq ans des études d'Architecte à l'Ecole plytechnique Fédérale de Zurich. La réalisation d'une piscine municipale à Letzigraben, dans un quartier ouvrier, sera pour lui particulièrement riche d'enseignement : d'un point de vue technique et d'un point de vue humain et politique. Parallèlement à son travail professionnel, l'Architecte Max Frisch écrit, passe ses soirées au théâtre, rencontre Bertolt Brecht (1948).

Je n'éclatai que lorsque Marcel se prononça
sur mon activité, c'est à dire l'UNESCO : le
technicien, dernière édition du missionnaire
blanc, l'industrialisation, dernier évangile
d'une race mourante, le niveau de vie comme
ersatz d'un sens de la vie.
                                Max  Frisch    Homo Faber 
p.60/61    
 

      Mais la technique en soi ne vaut pas plus que l' "art" en soi. Même si "Homo Faber" et "Artiste" sont deux entités apparemment contradictoires, Max Frisch n'est-il pas devenu suffisamment "expert" en architecture (il a été primé à plusieurs concours) pour pouvoir intégrer les nouvelles données qu'il a acquises à travers ce travail, à celui de l'homme de lettres ?

Echantillon de verre, échantillon de crépi,
échantillons de cendriers, échantillons de
garnitures, échantillons de glacis, tout ré-
clame une décision, et des choses décidées
il y a longtemps, arrivent tous les jours.
tout est tangible, tel que tu l'as dessiné, im-
pitoyable, que cela te plaise ou non. Cela
est devant toi et la meilleure des idées n'y
changera rien.
                               Max  Frisch   

      La confontration avec la matière dans ce qu'elle a de plus intransigeant a modifié la position de Max Frisch par rapport à la réalité. Nous sommes en 1954. Max Frisch se consacre entièrement à la littérature : romans, pièces de théâtre. Une sorte de démystification s'est opérée. Ses conceptions de l'homme, de l' "esprit",  du langage, ne peuvent plus être les mêmes. Pourquoi l'homme échapperait-il aux lois de l'Univers ? Le couple "Temps-Espace // Vide" comment le penser et l'exprimer ? Cette notion du "vide", du "blanc" vient redéfinir la
notion d'identité.

Un homme a fait une expérience, maintenant
il cherche l'histoire qui lui convient - On ne peut
vivre avec une expérience qui demeure sans histoire,
semble-t-il ...
                              Max  Frisch    Le désert des miroirs 
p.11


      Certes, l'homme a besoin d'une image de lui-même pour vivre, mais il ne doit pas se laisser illusionner par cette image ; elle est tout autant, mais à peu près aussi peu consistante que l'image du miroir. Si nous sommes tellement prêts à nous identifier à ces images que nous forgeons de nous-mêmes, que ces "rôles" sociaux nous renvoient, c'est qu'il est une épreuve permanente de lutter contre le travail de la "mort" qui exclut le vide, qui massifie, qui élimine l'autre possible, qui fait de nous des gens installés dans le travail, dans le mariage, dans...,
des gens peu mobiles, incapables de résister.

Un autre "Moi", ça coûte plus cher que la perte
d'un portefeuille glonflé, n'est-ce pas, il aurait du
renoncer à toute l'histoire de sa vie, revivre chaque
évènement et d'une façon nouvelle, car il n'aurait
pas été adapté à son moi.
                               Max  Frisch    Le désert des miroirs 
p.48


     Ce que chacun saisit et livre de lui-même ne serait en définitive que des "formes en creux" sculptées par les différents rôles qu'il tient quotidiennement, traduits par les "histoires" qu'il se raconte. L'être profond est en mouvance, une multitude de possibles, un "moi  inqualifiable qui n'a pas d'histoire, qui n'est pas plus sensible, ni moins réel que le centre de masse d'une bague ou d'un système planétaire" dit Valéry. Une réalité humaine tout en trompe l'oeil. Le moi ne serait qu'une représentation révocable ; et c'est en un lieu situé entre l'expérience muette et l'anecdote explicite que ses modifications peuvent intervenir.
     Ne serions-nous pas tous, ces hommes de théâtre dont Brecht disait :

Nous sommes des danseurs de corde et nous avons
besoin de la corde pour danser dessus, autrement
ils se mettent à utiliser la corde pour y pendre quelqu'un.


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