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John Reed

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John Reed

"Il avait vécu le rêve américain, celui qui consistait à partir vers l'Ouest, à faire fortune, à s'agrandir en même temps que le pays, à participer au développement de la civilisation. Le résultat, c'était une société où le conformisme était plus prisé que la jeunesse aventureuse. Cette ironique leçon allait s'appliquer quelque peu d'abord à ses fils, puis à son petit-fils John. Les trois descendants devaient connaître une vie éparpillée, déracinée, comme s'ils avaient compris instinctivement que les exigences d'une communauté établie pouvaient piéger un homme par des moyens de pression subtils, mais efficaces."

Robert Rosenstone  John Reed  p.20/21

De son grand-père, qu'il n'a jamais connu puisqu'il est mort quelques années avant sa naissance, mais dont l'image merveilleuse a été soigneusement entretenue au cours de son enfance, il gardera la personnalité : "le goût rafiné et enthousiaste". Près de cette ville même de Portland où ce grand-père avait su devenir un brillant homme d'affaires, John naîtra en 1887.

John Reed grandira avec, dans sa tête, l'entrechoquement de deux "représentations" très fortes : l'une, celle de "l'homme" excessif en tout, aussi bien en capacité de travail qu'en consommation de plaisirs ; l'autre, celle de "la femme" sensible aux arts et aux lettres. A cet excès de vie exacerbant sa sensibilité, et peut-être l'étouffant, REED opposera, dès l'âge de six ans, une maladie de reins. A la fois comme clapet au "trop" ou au "trop peu", la souffrance aurait été là comme mettant John Reed dans un état d'éveil particulier.

Portland, Harvard, les journaux, New-York, l'Amérique et le monde entier étaient aux mains des conservateurs, des gens hypocrites dépouvus d'imagination. Le seul moyen de s'opposer à eux, c'était de vivre le plus intensément possible, d'aimer l'art, la jeunesse, tout ce qui pouvait rendre la vie plus belle.

Robert Rosenstone   John Reed  p.153

Sorte de "sorcier", il entretiendra tous les feux. Celui, tout d'abord, de la culture estudiantine - celle du Collège ultra-chic de Morristown (Nex Jersey), celui de l'université de Harvard et ses clubs.

Des années plus tard, les membres des clubs se souvenaient de REED comme de quelqu'un qui n'avait jamais su faire la différence entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.

Robert Rosenstone   John Reed   p. 63

Puis, ce fut le feu de la culture européenne, avec la découverte de Paris "le plus bel endroit du monde" et de ses libertés, de l'Angleterre qu'il parcourut à la marche, après une traversée en marin sur un cargo, de l'Espagne.

Puis, le feu de la vie (1912) de Manhattan avec Greenwich Village, centre de ce qu'on appellera la "bohême américaine".

La bohême, en tant que mode de vie, ne datait que du XIXième siècle. Il s'agissait non d'une existence vécue par nécessité, mais un style de vie qu'on avait choisi, d'une révolte consciente contre l'aspect sérieux et le souci de rentabilité de la civilisation bourgeoise. Souvent, les représentants de la bohême étaient des gens aisés, qui imitaient les allures des artistes sans le sou, se moquaient des conventions sociales et proclamaient que l'art était plus important que l'industrie. pittoresque, varié, de moeurs sexuels assez libres, la bohême était devenue une "Grub Street" romantique, qui avait des théories et se prenait au sérieux.

Robert Rosenstone   John Reed   p.160

Mais John REED ne peut pas ne pas percevoir les "limites" de toute chose.

Il avait compris que ce qu'on appelle amour est, en fait, un curieux mélange d'extase, de douleur, de plaisir et de chagrin. Sa liaison avec Mabel lui avait appris une autre chose qu'il pouvait difficilement oublier : l'amour d'une femme, si nécessaire fût-il, ne pouvait à lui seul lui apporter le bonheur.

John Rosenstone   John Reed   p.231

Et l'histoire est là, avec ses "grèves", ses "révolutions". Certes, si pour John REED, ce qui est insuportable, c'est l'impression d'être en dehors de la société, d'être un "inadapté" (il aura toujours le souci de transcender son vécu personnel par des écrits, romans articles), c'est qu'il fait partie de ces individus qui, dans un besoin d'universalité, à l'extrême limite d'eux-mêmes, ne peuvent qu'évoluer sur la corde raide où se rencontrent réalité et fiction, possible et impossible, raison et folie. Bien sûr, comme le funambule, il ne peut s'arrêter que quelques instants, mais jamais longtemps sous peine de chuter. Ces personnes sont emportées dans une course folle qui, loin d'être une fuite en avant, mène bien à un but (le fil du funambule a deux points d'attache !). Leur problématique est la synthèse d'un microcosme et/d'un macrocosme, d'un monde individuel et/d'un monde social, ils sont le type même de ces politiciens étranges qui oscillent entre des données très personnelles, presqu'égotistes, et des données universelles presqu'altruistes.

Ce sont toutes ces données qui feront participer John REED, corps et âme, combattant à part entière, à une grève et à deux Révolutions : celle du Mexique en 1914 et celle de la Russie en 1917. Dans ces deux cas, outre son travail de Journaliste, il écrira deux livres : "Le Mexique insurgé" et "10 Jours qui ébranlèrent le monde". Et dans ces deux textes, fidèle à lui-même, il n'emprunte en rien la voie d'expression du militantisme rationnel.

John REED, parce qu'il se trouvait présent au début du XXième siècle, a vécu le phénomène révolutionnaire à l'échelle d'un pays. Mais il ne faudrait pas se faire illusion : ce n'est pas la participation à ces révolutions qui semble en définir l'aspect extraordinaire. L'histoire a voulu que... De toutes façons, John REED aurait eu un comportement révolutionnaire, comme le prouve toute la première partie de sa vie, qu'à ses risques et périls, il ne s'est jamais contenté de subir.

John REED mourra du Typhus en Octobre 1920, gavé de ses 33 ans de vie.

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