Atelier  Philo

Est-ce qu'on voit ce que l'on croit ?
ou est-ce qu'on croit ce que l'on voit ?

[Nouveau Thème : L'origine de la notion de réalité]

Mardi 5 Février  2013 à 20h30


Lieu : le Ness
3, rue Très-Cloître Grenoble (tél. 04 76 54 44 71)

Séances précédentes :
La fonction du désir
Le corps, la jouissance et le langage
La jouissance au coeur des contraires
Bilan 2011/2012
Quelles règles ? Détermination du thème.
Peut-on penser/maîtriser le changement ?
Doit-on connaître pour maîtriser ?
Le changement : contrainte ou choix ?
Que devons-nous changer ?
Qu'est-ce que penser le changement ?
Le rôle de l'intersubjectivité dans la pensée et la maîtrise du changement ?
Changement ou éternel retour ?
Fin du thème : Peut-on penser/maîtriser le changement ?
L'origine de la notion de réalité

Tableau de Magritte
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Présentation de l'espace philo :

L’ATELIER PHILO…

Historiquement, « l’atelier philo » s’inscrit à la fois dans la continuité et la rupture des « cafés philo » des années 1995-2005.

-          Dans la continuité, car il ne s’agit pas de conférence, ni d’exposé, (même suivi d’un débat), de la part de quelqu’un qui, possesseur d’un savoir, viendrait le transmettre ; chaque participant, quelle que soit sa compétence, s’exerce à exprimer son propre point de vue, sur lequel il permet ainsi, à chacun, d’opérer un travail de compréhension et de critique.

-          Dans la rupture aussi, par conséquent, car ce travail en commun devient l’aspect principal de l’atelier.

Le thème retenu – actuellement : « L'origine de la notion de réalité » - ne change pas à chaque séance, mais se poursuit sur plusieurs mois, voire l’année…Il donne lieu à une présentation personnelle au début de chaque séance (qui peut être mise en ligne quelques jours avant la réunion), et chaque participant est invité à rédiger une « trace » (compte rendu ou réaction subjective) distribuée la fois suivante, mais également consultable sur ce site.

1/ en Premier, le Texte d'introduction de François

2/ en Second, les "réactions" au dernier Atelier philo

1) Est-ce que l’on croit ce que l’on voit, ou est-ce que l’on

voit ce que l’on croit ?*

On ne devrait pas croire en des choses qu’on ne connaît pas. (Noam Chomsky)

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Nos croyances peuvent affecter nos sens. Ce problème se pose fréquemment

dans le domaine de l’observation scientifique : il nous arrive d’avoir des attentes

avant d’observer un phénomène, puis de voir ces attentes confirmées par

l’expérience, seulement pour nous rendre compte plus tard que nous avions

tort, et que nos hypothèses nous ont trompées sur la réalité. Nos théories

scientifiques aboutissent parfois à ce type d’erreur.

Un premier exemple peut servir à illustrer ce problème.

Vers la fin du dix-huitième siècle, dans l’époque victorienne tardive, les

astronomes britanniques font face au problème suivant. Les astronomes

amateurs, ceux qui ont installé un télescope dans leur jardin et qui scrutent le

ciel pour le plaisir d’observer les planètes, dessinent des planètes pleines de

bosses. Ces astronomes, sans titres universitaires ni reconnaissance scientifique,

dessinent ce qu’ils voient.

Ces dessins d’amateur posent problème aux astronomes professionnels, qui ont

accès à des télescopes plus coûteux et plus puissants. Ces astronomes vont se

servir de leur prestige et des théories de l’optique pour réfuter les observations

des astronomes amateurs, au motif que ceux-ci ne peuvent pas voir les planètes

comme ils les voient : la conception scientifique des planètes impose une vision

plus lisse et plus géométrique des sphères planétaires (1).

La vision des astronomes professionnels est moins réaliste, mais elle est plus

conforme aux théories scientifiques qui se développent à cette époque. En

d’autres termes, la théorie – ce que l’on pense, ce que l’on croit – est parfois

amenée à prendre ses droits sur l’observation – ce que l’on voit.

* Certains éléments de ce texte m’ont été inspirés par les cours de David Bloor. Je remercie

Bernard et David pour la lecture du texte.

1 L’historien John Lankford a fait le récit d’une dispute de cet ordre, qui portait sur la surface de

la planète Saturne. Son texte a été publié dans le volume 7 de la revue Isis en 1981.

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Je souhaite m’interroger sur quelques éléments de langage avant de continuer.

Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas intéressé par la seule

expérience visuelle. Tous les sens me paraissent concernés par le problème posé.

Par exemple, on pense parfois entendre un mot à la place d’un autre. Je pense

que ces problèmes méritent une discussion philosophique générale, au-delà

d’une explication sur le fonctionnement du système sensoriel de l’être humain.

Ensuite, ce que l’on « pense » n’est probablement pas la même chose que ce que

l’on « croit », même si le langage ordinaire confond souvent ces termes. La

différence réside peut-être dans la logique du raisonnement qui nous amène à

penser quelque chose, plutôt que d’y croire par un simple acte de foi. La

croyance me semble dégagée de tout impératif logique, alors que la pensée me

semble requérir une explication de cet ordre, quitte à ce qu’elle prenne la forme

d’un paradoxe apparent. Cela ne me semble pas être crucial au débat : ce que

l’on pense voir et ce que l’on croit voir peut être pris pour identique ici.

Enfin, je ne tiens naturellement pas à limiter la discussion au domaine de

l’observation scientifique, au sens professionnel du terme. Le problème s’étend

au-delà de cette pratique : dans notre quotidien, lorsque nous sommes

conscients et en pleine possession de nos moyens, avons-nous tendance à croire

ce que nous voyons ou à voir ce que nous croyons ?

Voici un second exemple qui me semble compléter utilement le problème posé.

Le réfugié politique Dong Hyuk Shin, né en 1982, a grandi dans un camp de

concentration en Corée du Nord sans jamais avoir connu le monde extérieur.

Après son évasion en 2005, son plus grand choc fut de croiser des gens qui

pouvaient manger librement : « C’était tellement choquant pour moi. Quand

j’étais dans le camp, je pensais que ce serait pareil dehors (…) J’étais comme

frappé par la foudre. Pendant deux ou trois jours après mon évasion, j’ai même

cru… j’ai même cru que j’étais encore dans le camp et que j’imaginais des

choses. Les gens n’avaient pas l’air réels. J’étais choqué à ce point…2 ».

Cet homme ne parvenait pas à croire ce qu’il voyait car il n’avait jamais connu

cette réalité auparavant. En définitive, il lui fut possible de croire ce qu’il voyait

car il put apprendre à connaître le monde qui entourait sa prison.

2 Ce témoignage est disponible sur Internet (https://youtu.be/Ms4NIB6xroc).

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Après ces quelques exemples et remarques, voici à présent ce qui me semble être

la dynamique philosophique de la question que je vous propose de débattre.

La question soulève le problème de la nature de nos expériences sensibles. Si ces

expériences sont principalement guidées (ou aveuglées) par nos croyances, alors

sommes-nous capables d’observer le monde objectivement, sans porter sur lui

de jugement a priori ? Et si nos croyances diffèrent, alors comment pouvonsnous

collectivement voir les mêmes choses ?

La somme des choses que nous croyons me paraît infiniment plus grande que

celle des choses que nous voyons. Nous croyons en d’innombrables choses que

nous n’avons jamais observées par nous-mêmes. Nous croyons même en des

choses qui ne peuvent pas être observées mais seulement supposées. Ces

croyances s’accumulent et nous suivent partout où nous posons le regard.

Si nos observations se trouvent systématiquement sous l’emprise de nos

croyances passées, alors il faut conclure que l’on voit ce que l’on croit.

La prison de mes croyances semble certes échangeable contre la liberté de mes

sens. Je suis libre d’avoir cru, et de m’être trompé – et à présent que j’observe

par moi-même, je peux corriger ce que je croyais. Lorsque j’invoque cette

liberté, je m’autorise à croire ce que je vois plutôt que l’inverse.

Le problème ici n’est pas que mes sens soient faillibles. Le problème me semble

être que le résultat de ma perception (« ce que j’observe ») est en soi une forme

de croyance—une représentation des choses. Je vois la pluie qui tombe à travers

ma fenêtre, et je crois alors savoir qu’il pleut sur la ville.

Je vais considérer qu’il y a ici un premier élément de réponse à la question

posée : ce que l’on voit se rapporte toujours à ce que l’on croit. Ce que j’ai

appelé la « prison » de nos croyances est une contrainte dont nous ne pouvons

pas nous affranchir, sauf à nous mentir sur nos capacités d’observation.

En vertu de ce premier élément de réponse, je souhaiterais en proposer un autre,

qui consiste à faire l’expérience de nos croyances plutôt que de nos sens. Je

souhaite terminer ce texte en décrivant ce que j’entends par ce déplacement.

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Je me demande si « je vois ce que je crois » ou si « je crois ce que je vois », et

j’en conclus rapidement (peut-être trop rapidement) qu’il ne m’est pas possible

de séparer complètement ces propositions, parce que je me sens incapable

d’arrêter l’aller-retour constant entre mes croyances et mes sens.

Il m’est toutefois possible de détacher, dans ces propositions, deux catégories

essentielles : « ce que je vois » et « ce que je crois ». Je suis capable de donner

un sens à ces catégories, alors même que mon expérience du monde tend à les

lier dans un même mouvement.

Cette dernière remarque m’incite à penser que nous sommes collectivement

capables de conclure des accords ambigus et temporaires sur la nature de nos

expériences. Ces accords nous permettent notamment d’envisager la négation

d’un des termes du débat : nous nous autorisons mutuellement à dire « je vois

une chose sans y croire » et « je crois une chose sans la voir ».

Si ce basculement vers les catégories vous semble assez clair, le débat pourrait

alors porter sur leur nature : est-ce « ce que je vois » et « ce que je crois » peut

se définir dans l’absolu, ou est-ce notre expérience collective du monde qui nous

amène à établir le sens de ces catégories par convention ?

Au terme de cette réflexion, je suis d’avis que, s’il est toujours possible de croire

ce que l’on voit mais qu’il n’est pas toujours possible de voir ce que l’on croit,

c’est parce que cette (fragile) convention logique nous sert à nous comprendre,

par l’intermédiaire d’un jeu de langage, plutôt qu’à désigner un état de fait.

J’espère que ce texte vous permettra à toutes et à tous d’aborder la question

posée en toute liberté. Je vous souhaite de passer une excellente soirée, et

regrette de ne pouvoir me joindre à vous ce soir pour débattre du thème

présenté ci-dessus.

François

 

2) Réactions à l’atelier philo du 22 janvier 2013 :

1) Bonjour a tous,

Puisqu'il est à la mode de donner les réponses aux questions, voici la mienne quant aux origines de la notion de réalité, en toute modestie [et sans oublier son hypocrite de conjoint], à la suite de ce débat qui m'a bien éclairé :

La réalité s'oppose à l'imaginaire, c'est ce que nous pouvons identifier comme connaissable en dehors de nous même, c'est à dire en dehors de nos pensées, et sensations (en dehors de nos sensations car mettant en oeuvre nos sens, mais n'étant pas issu de nos sens).

Si cette définition de la réalité convient, on peut attribuer l'origine de la notion de réalité dans le besoin, le désir de se connaître, ou bien tout simplement d'être, car se connaître, c'est connaître d'abord ce qu'on est pas (définir, poser ou expérimenter les contours de son être), et être, c'est faire l'expérience (sensorielle) de ce qu'on est, par la rencontre avec ce qu'on est pas. Je m'explique :

Nous sommes des êtres pensant, et la pensée est d'une nature (physique) particulière, capable d'imaginer, d'inventer des possibles (des possibilités d'être). Nous éprouvons le besoin de faire l'expérience de nos pensées, afin de distinguer ce qui n'est encore que possible, de ce qui est. Pour cela nous devons vérifier que ces pensées peuvent prendre corps, raisonner notre matérialité, être palpées, senties ... Si cette résonance n'est pas trouvée, alors il y a comme une frustration, le possible est toujours possible (l'être vaporeux des pensées existe bien) , mais l'être matériel n'a pas été rencontré.

Il y a donc la réalité (ce qui a résonné avec ce moi étendu à tout ce je conçois comme étant moi, c'est a dire aussi mes semblables), et le reste, et j'ai besoin de faire cette distinction pour rendre hommage à mon incarnation, mon corps, ma réalité physique et à ses qualités particulières, voir exceptionnelles dans certains cas - en toute modestie [et sans oublier son hypocrite de conjoint].

Merci, et à bientôt,

Stéphane (le 23/01/2013)

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2) Bonjour,

Pourquoi extraire nos sensations de notre perception de la réalité?

En dehors de nos pensées et de nos sensations que reste t-il de notre perception de la réalité?

Modestement,

Laure (le 23/01/2013)

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