Et ainsi donc il parlait, étant du reste toujours le
                
                premier à parler, choisissant même les sujets de la
                plus extrême absurdité - non seulement parce qu'il
                voulait être aimé par tout le monde, ce qui était le
                cas, mais parce qu'il aimait parler, parce qu'il aimait
                la forme ronde et pleine de sens des mots et parce qu'il
                avait peur d'être seul.
            
                
                                       
                                    William 
                Styron    Un lit de ténèbres 
                
            
                  William
                Styron est né en 1925 dans cet état du Sud de l'Amérique du Nord qu'est la
                Virginie - terre coloniale où se développa de façon priviléfiée l'esclavage des
                Noirs - Mais c'est précisément dans le berceau d'une famille aisée de Newport News,
                qui forme une cornubation avec le grand port de Hampton Roads, qu'il arriva. Une
                formation intellectuelle lui sera donnée à Duke University. Quoi de commun avec
                cet autre américain auto-didacte, écorché vif qu'est un Jack London ?
            
                
                    
            J'ai écrit parce que j'ai éprouvé le
                besoin d'essayer
                de trouver un sens à certains évènements majeurs
                
                qui eux-mêmes ont été cause de chocs psychiques
                et des angoisses de notre époque. D.H. Lawrence
                a fait remarquer qu'alors qu'un écrivain ne peut
                pas changer de façon appréciable le cours du des-
                tin des hommes, il peut modifier au nom de la 
                vérité, les perceptions d'un seul homme ou d'une
                seule femme. Celà a été mon ambition de faire
                ne fût-ce que celà.
                               no Hors-Série
                de Libération (Mars 1985)
        
        
                London était
            le dos au mur ; par impératif financier et nécessité intérieure, il était acculé
            à écrire ; des dizaines de romans sortiront de sa "plume".
        
        
                    
            William Styron, lui, n'en a écrit que quelques-uns.
                William Styron, lui, a choisi d'écrire comme il a choisi de suivre
                l'exemple de la génération perdue en quittant ce nouveau monde aux racines peu profondes
                et viciées, pour l'exil dans un vieux continent au long passé culturel (il séjourna
                à Paris et en Italie). William Styron est capable de distance, de cette
                distance qui lui donne la possibilité de percevoir, d'analyser, de se comprendre
                lui-même, et à travers lui-même, l'homme dans sa double nature : instinct de vie
                - instinct de mort.
            
            
            
        
            
            J'(Nat Turner, Noir, chef de la révolte des
                Noirs) aurais
                
                pu l'atteindre (la petite fille qui fera échouer la révolte).
                C'était l'affaire d'une demi-minute, mais je me sentis
                brusquement découragé, accablé de fatigue, et je fus
                terrassé par un chagrin obscur, irréductible. Je fris-
                sonnai en songeant à la futilité de toute ambition.
                J'avais la bouche amère, bilieuse, en pensant à la
                mort, à ces champs, à ces murs inondés de sang. Je
                regardai la petite fille s'en aller, s'évanouir, sans
                qu'une main se posât sur elle. Qui sait si nous
                
                n'étions pas condamnés à perdre ? Je ne sais plus
                rien. Souhaitais-je vraiment échanger une vie contre 
                
                celle que j'avais prise ?
                
                               
                                 William 
                Styron    Les Confessions de Nat Turner     
        
             Une petite fille fait échouer
            "Le Grand Projet Politique" ! Instinct de vie / Instinct de mort ; le Bien / le
            Mal, dirait Dostoiëvski.
            
        Mais sa pitié initiale pour elle était tempérée
            maintenant par une forte irritation : c'était
            là une femme qui avait été non pas la dupe
            de la vie, mais trop égoïste, trop réticente à
            consentir aux habituels compromis, pour 
            être heureuse.                       
                           
            
                                    
              William Styron     Un lit de ténèbres
            
                    Compromis ! compromis entre le "mal" et le "bien", entre
            la "vie" et la "mort", entre le "corps" et l'"esprit". Parce que la vie puise sa
            force même dans la mort, parce que la mort s'arc-boute sur la vie. De ce compromis,
            certes, naît le sentiment du "tragique". Mais du refus de ce compromis naît la crispation,
            l'inquiétude de sa liberté, de sa subjectivité, avec cette alternance des moments
            misérables et des moments triomphants. Il faut passer un pacte avec la mort si nous
            ne voulons pas qu'elle nous gouverne ! Or, tous les héros des romans de Styron refusent
            ce compromis.
            
            Dans un "Lit de ténèbres", son premier roman (Prix de Rome de
            l'American Academy of Arts and Letters)
            
            * Helen, à travers sa vison puritaine de la réalité, se paralyse dans la
            dépression, se détruit.
            * Maudie, sa fille infirme, rivée à sa mère par la volonté de cette dernière,
            fait écho à cette mort et meurt.
            * Milton, son mari et Peyton, sa deuxième fille, sont eux, incapables d'un contrôle, quel qu'il soit, de ces deux instincts.
            Helen a réifié la vie ; eux entretiennent une si grande mobilité entre les deux
            forces qu'ils sont de véritables "forces vives". C'est l'anarchie avec l'alcool,
            l'érotisme (même incestueux) et le suicide.
            
            Dans "Les confessions de Nat Turner" (Prix Pulitzer) roman inspiré d'un
            fait réel, Nat Turner, qui apparemment a un geste positif : libérer les noirs de
            l'esclavage, apparaît comme une reprise du personnage d'Helen. Sa révolte, qui s'éteint
            aussi vite qu'elle s'allume, n'est pas fondamentalement différente de la dépression
            d'Hélen. Elle ne lui permet en aucune façon de passer aux actes. Il sera incapable
            de tuer, sauf la femme avec laquelle il est lié personnellement. Et ce portrait
            que Styron a travaillé pendant sept ans permet bien de cerner le problème. La dichotomie
            Vie / Mort entraîne :
            
            * Le "Mythe de l'esprit" - dont la fonction est de "réprimer.
            
        Le livre, avec sa fourmilière de mots, est
            
            comme un ennemi malfaisant, incompréhensible.
            Je me sens tout raide, crucifié, sur un chevalet 
            d'ennui et néanmoins, je sais que je me trouve
            en présence d'un trésor.
            
                               
                                William 
            Styron   Les confessions de Nat Turner  
                
    * Le "Mythe du pouvoir" (la pureté) lié à la haine
        de soi-même (le péché)
    
                    
                    C'était sûrement à cause de son sang blanc que
                        
                        raymond était devenu un personnage important,
                        mais c'était dû aussi à une sorte d'esprit naturel,
                        de sagesse qui, bien qu'il fût misérablement es-
                        tropié, lui donnait un semblant d'autorité et la
                        valeur d'un phare pour les autres.
                        
                                         
                                      
         William  Styron  Les confessions de Nat Turner
                
                    
                    Les Blancs, les Maîtres, sont considérés comme
                        des modèles. Sexuellement,
                            ils sont seuls désirables.
                        
                        
                        * Le "Mythe de l'élu" - nécessité d'un Dieu et d'une rédemption.
                    
                       Car  ce
                        qu'ils ne savaient pas, c'est que derrière
                        cette idée de simple évasion, se cachait un dessein
                        beaucoup plus vaste ... Ils ne pouvaient savoir
                        tout celà, car mes lèvres étaient scellées ; mais le
                        seigneur s'apprétait à briser le sceau.
                        
                                 
                                      William  Styron  Les
                        confessions de Nat Turner
                    
                
            
            
            Ce n'est pas pour lui-même que Nat Turner agit, mais par mission.
                
              Ce à quoi s'attache William Styron à travers ses grandes volutes
                de mots est donc, en nous faisant pénétrer avec amour dans le vécu des consciences,
                dans la subjectivité de ses personnages, de nous permettre de comprendre que l'homme
                a à jouer avec tous ses aspects contradictoires, quel que soit l'individu, l'individu
                noir n'étant en
                        définitive qu'un cas particulier. Mais à côté de cet espace-temps
                du vécu particulier de chacun, se trouve bien une réalité, avec ses lois, une matière
                objective qui n'a que faire de la subjectivité de chacun. (cf. guerre du Vietnam,
                guerre de Corée qu'a vécu Styron). Et la stabilité relative, dans l'individu, du
                rapport de ces contradictions, renvoie ainsi à la stabilité relative du rapport
                de cet individu lui-même avec cette réalité extérieure au sein de laquelle il apparaît,
                se développe, et intervient.
                
                
                Principaux Romans
                
                
                * Un lit de ténèbres  (1951)
                * La marche de la nuit  (1953) - nouvelles
                * La proie des flammes (1960) - préface de Butor
                * Les confessions de Nat Turner (1967)
                * Le choix de Sophie (1976) (porté à l'écran)
                * Face aux ténèbres (1990)
            
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