Atelier  Philo

Peut-on penser/maîtriser le changement ?

Mardi 18 Septembre  2012  à 20h30


Lieu : le Ness
3, rue Très-Cloître Grenoble

Séances précédentes :
La fonction du désir
Le corps, la jouissance et le langage
La jouissance au coeur des contraires
Bilan 2011/2012
Quelles règles ? Détermination du thème.

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Présentation de l'espace philo :

L’ATELIER PHILO…

Historiquement, « l’atelier philo » s’inscrit à la fois dans la continuité et la rupture des « cafés philo » des années 1995-2005.

-          Dans la continuité, car il ne s’agit pas de conférence, ni d’exposé, (même suivi d’un débat), de la part de quelqu’un qui, possesseur d’un savoir, viendrait le transmettre ; chaque participant, quelle que soit sa compétence, s’exerce à exprimer son propre point de vue, sur lequel il permet ainsi, à chacun, d’opérer un travail de compréhension et de critique.

-          Dans la rupture aussi, par conséquent, car ce travail en commun devient l’aspect principal de l’atelier.

Le thème retenu – actuellement : « Peut-on penser/maîtriser le changement ? » - ne change pas à chaque séance, mais se poursuit sur plusieurs mois, voire l’année…Il donne lieu à une présentation personnelle au début de chaque séance (qui peut être mise en ligne quelques jours avant la réunion), et chaque participant est invité à rédiger une « trace » (compte rendu ou réaction subjective) distribuée la fois suivante, mais également consultable sur ce site.

 

Texte introductif de l'Atelier du Mardi 18 Septembre 2012

« Peut-on penser/maîtriser le changement? »

- C’est la fortune actuelle du terme de « changement », son omniprésence dans tous les domaines (y compris celui de la vie personnelle, avec l’intimation à l’évolution, au « développement », sous peine du destin des dinosaures) qui m’a incité à proposer ce thème de réflexion.

- Le terme de « changement », issu du latin cambiare signifiant «échanger, substituer quelque chose à une autre »,  est habituellement défini « comme le passage d’un état à un autre », synonyme selon sa nature et son intensité d’évolution, révolution, transformation, modification, mutation, renouvellement etc. On distingue généralement le changement « endogène » dû à des causes internes (révolutions politiques, par exemple) du changement « exogène » où prédominent des causes externes comme les inventions techniques.

- Première remarque : pour beaucoup de penseurs, des présocratiques à Nietzche en passant par Lao Tseu et Bouddha, le changement est la règle, si on peut dire : « Rien n’est permanent, sauf le changement » (Héraclite), « Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement » (Bouddha). Autrement dit, vivre c’est être en permanence soumis au changement. Cependant, le lent processus de la plupart de ces transformations nous les rend imperceptibles et c’est souvent lorsque le changement est effectivement installé que nous en prenons conscience. Le temps de la transition nous échappe : nous savons que nous vieillissons tous les jours mais nous n’en prenons véritablement conscience qu’une fois vieux (souvent dans le regard d’autrui, d’ailleurs) : « il ne s’en est à pied allé/ n’a cheval : hélas! Comment don?/ Soudainement s’en est volé… », dit Villon plaignant le « temps de sa jeunesse ».

. Il en va de même lorsque, phénomène de tous les temps et de tous les pays, une fois vieux l’étrangeté du monde nous saute brutalement aux yeux : le monde dans lequel nous vivons désormais ne nous semble plus le même que celui dans lequel nous avons grandi et vécu, comme s’il avait changé à notre insu. Le changement ne nous apparaît ainsi clairement qu’à l’occasion de la survenue d’un événement, c’est-à dire lorsque le processus de transformation a conféré aux choses une nouvelle identité. L’annonce de la chute de Rome frappa littéralement de stupeur ses contemporains, cependant qu’à postériori les historiens reconstituent (en partie du moins) la lente évolution qui conduisit à cette fatale issue. Même chose avec le  changement climatique actuel : à l’œuvre depuis longtemps, il ne s’impose à nous, malgré nos moyens scientifiques et techniques, que lorsque ses manifestations nous apparaissent désormais irréfutables (et irréversibles). On peut même dans cette perspective comprendre les révolutions politiques (révolution française, révolution d’Octobre …) non pas tellement comme le début d’un changement mais plutôt comme son avènement, le désir de maîtriser des transformations déjà largement entamées (voir à ce propos les réflexions de Marx sur les sociétés les plus susceptibles de connaître une révolution prolétarienne, parce que les plus engagées dans les mutations entraînées par la révolution industrielle).

Dans ces conditions, peut-on penser (et comment) autrement qu’a postériori - ce qui exclut la maîtrise et laisse tout au plus la possibilité d’adaptations - quelque chose que nous ne percevons pas et dont l’évidence ne nous atteint que lors de son avènement?

- Autre remarque : cette cécité aux transitions, à la souterraine évolution des choses, a longtemps conduit à une attention portée sur la seule action humaine, moteur de l’histoire, et à l’oubli du monde (de la nature), simplement posé comme cadre à cette action. Ce qui a eu pour conséquence, assez paradoxalement, de minorer, sinon d’ignorer, les effets de cette action sur le monde : « Notre culture a horreur du monde » (Michel Serres). Ce qui ne prédisposait pas non plus à « penser/maîtriser le changement ».

- S’agissant des changements « exogènes », dus pour l’essentiel à des causes techniques, on pourrait légitimement être assurés d’une plus grande facilité à les penser en amont et donc d’en mieux maîtriser les effets, puisque nous en sommes les producteurs. Or l’exemple du changement climatique et plus encore du « pic pétrolier » montre qu’il n’en est rien. La description de conséquences potentiellement apocalyptiques et le rappel de l’urgence de décisions aptes à en limiter les effets n’empêche pas la vie ordinaire de suivre imperturbablement son cours. Autrement dit, dans de pareils cas, il est possible de prévoir et de penser certaines mutations, donc d’en prévoir quelques effets. Il est apparemment autrement plus difficile d’en arriver aux changements de logiques et de comportements qui pourraient en assurer une certaine maîtrise.

Les raisons d’une telle attitude sont sans doute multiples parce que relevant à la fois de la religion, de la culture et de l’histoire. Sans doute aussi que les mutations qui ont fait passer l’homme du « faible roseau » à la merci de la moindre manifestation de la nature au détenteur d’une puissance (pas seulement militaire, mais aussi et peut-être surtout économique) capable à tout moment d’anéantir cette même nature, exigent de sortir du local pour penser et agir globalement, ce qui est radicalement nouveau : « L’histoire globale entre dans la nature; la nature entre dans l’histoire globale : voilà de l’inédit en philosophie » (M. Serres).

- Restent d’autres modalités de changement qui n’ont pas été abordées ici, comme celles mises en oeuvre dans les entreprises ou encore dans les démarches de type « développement personnel ». On peut se demander si fondamentalement elles n’entrent pas, malgré des horizons différents, dans les problématiques qui viennent d’être esquissées. A l’angoisse de l’incertitude du devenir répond le besoin de mouvement. Du moins dans l’univers occidental - qui tend, il est vrai, à s’universaliser.

Mohamed