Atelier  Philo

L'art permet-il de comprendre l'origine de la réalité?

[Thème : L'origine de la notion de réalité]

Mardi 28 Mai  2013 à 20h30


Lieu : le Ness
3, rue Très-Cloîtres Grenoble (tél. 04 76 54 44 71)


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L’ATELIER PHILO…

Historiquement, « l’atelier philo » s’inscrit à la fois dans la continuité et la rupture des « cafés philo » des années 1995-2005.

-          Dans la continuité, car il ne s’agit pas de conférence, ni d’exposé, (même suivi d’un débat), de la part de quelqu’un qui, possesseur d’un savoir, viendrait le transmettre ; chaque participant, quelle que soit sa compétence, s’exerce à exprimer son propre point de vue, sur lequel il permet ainsi, à chacun, d’opérer un travail de compréhension et de critique.

-          Dans la rupture aussi, par conséquent, car ce travail en commun devient l’aspect principal de l’atelier.

Le thème retenu – actuellement : « L'origine de la notion de réalité » - ne change pas à chaque séance, mais se poursuit sur plusieurs mois, voire l’année…Il donne lieu à une présentation personnelle au début de chaque séance (qui peut être mise en ligne quelques jours avant la réunion), et chaque participant est invité à rédiger une « trace » (compte rendu ou réaction subjective) distribuée la fois suivante, mais également consultable sur ce site.

       Présentation :

    L’art permet-il de connaître l’origine de la réalité ?

    Café-philo Le Ness, mardi 28 mai 2013

    Je voulais faire bref, mais je n’y suis pas arrivé…

    Tout d’abord, l’art permet la connaissance de la matière, qui est son passage obligé : travailler le bois pour un instrument, élaborer des pigments pour la peinture, explorer son corps pour la danse, le mime sa voix pour le chant ou la poésie, comprendre les matériaux pour l’architecture, et faire tout cela pour le théâtre, qui était considéré, en Inde en tous cas, comme l’Art total . L’art bien pratiqué et reçu, entre attention et compréhension, y était considéré un yoga, une voie d’accès à la connaissance, à l’union avec le Connaisseur, l’Âme Universelle. Et le théâtre était le cinquième véda, comprenant tous les autres arts et permettant à ceux qui n’avaient pas accès aux autres védas, trop ardus, de connaître le monde par lui. Le mot véda veut dire à la fois voir (cf latin «  video ») et savoir, car la connaissance était expérience de vision, compréhension. Le mythe raconte même que c’est le dieu créateur Brahma lui-même qui demanda à ses 100 fils de créer le théâtre à cette fin.

    Dans un peu de bois, d’os, de corne, de métal, de peau ou de boyaux, à travers une gorge faite d’humeurs, de muqueuses, de nerfs… et beaucoup de vide, on peut faire résonner des mélodies qui raconteront l’histoire du monde et feront toucher à des dimensions inouïes dans tous les sens du terme.

    Evidemment, pour cela, il faut « l’inspiration », ce qui concrètement, pour moi, veut dire le fruit de la rencontre entre l’attention au réel, la confrontation à lui parfois, le désir de le comprendre, et celui de le restituer le plus honnêtement possible, le plus précisément, mais pas forcément dans les moindres détails, - « le sens trop précis rature / ta vague littérature » a écrit Mallarmé – et avec sa propre subjectivité mais au service toujours du réel.

    Les druides, qui parlaient grec et que César considérait comme des Pythagoriciens, disaient que l’ascèse, le rapport aux éléments et l’étude libèrent l’Awen, l’inspiration, et que toutes choses dans l’Univers sont reliées par le fil de la poésie. Les druides sont simplement des hommes, et la poésie vaut pour l’harmonie en peinture, musique, danse…

    Et dans cette multiple exigence, on peut toucher aussi à l’harmonie des choses et à celle de l’art, et cette harmonie nous fait comprendre le sens de la réalité, sa beauté quand elle est faite de liberté partagée, d’équilibre, de justice, de paix, de force aussi.

    Je n’embellis pas le monde, j’en connais les côtés sombres, mais l’art justement montre aussi le chemin pour en sortir par la prise de conscience de cette obscurité. Comme la tragédie grecque.

    L’art permet aussi d’expérimenter la naissance de la pensée, de la parole, du son, des formes, les transformations de la matière, leur disparition :

    « Pour moi seul, en moi-même, aux sources du poème, entre le vide et l’événement pur » ( poème = création en grec) dit Valéry dans Le Cimetière matin. Ce poème écrit dans un cimetière, est si célèbre justement parce qu’il célèbre aussi la vie, la fin, la renaissance, et contemple aussi bien la mer que la mort et toutes leurs métamorphoses.

    Dans la « création », l’artiste se voit démiurge. Ce n’est pas de la mégalomanie, car il n’invente pas la matière, il manifeste l’oeuvre, mais dans un Univers où « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », être soi-même à l’origine des formes et de leurs métamorphoses permet de les comprendre aussi.

    Une mère et un père sont aussi ces créateurs.

    Par ailleurs, notre univers est fractal : dans une cellule, toute mon histoire, dans un spermatozoïde, celle de ma lignée, dans mon iris, tout l’état de mon corps, y compris mon système nerveux etc.. Dans mon écriture, ma psychologie… Tout est signe, caractère, grammaire engrammée comme disent certains psychologues.

    Et nous sommes le produit de cet Univers, le produit de ses lois : nous les com-prenons matériellement et intellectuellement, nous en sommes composés au sens aussi où on compose une musique.

    L’amour de la matière, sa compréhension nécessaire pour créer, nous permettent de comprendre qu’amour et sagesse sont les bases de la Création. Même si l’art est destructeur et négatif, c’est encore une forme d’intelligence et d’attention , d’intérêt, qui est à sa base.

    L’art est le lieu de rencontre de la matière et de l’esprit, et là où ils interagissent avec l’émotion, et c’est cela la Vie.

    Il enseigne à travers les émotions. Les rasa - suc, nectar - en Inde sont les saveurs telles que paix, amour, érotisme, héroïsme, mais aussi colère, qui se manifestent, réveillées par l’œuvre d’art, et nous irriguent. Mais ces émotions sont supposées être justes lorsque l’œuvre est fidèle au Réel, et si la personne qui reçoit l’œuvre est elle-même en recherche de vérité.

    L’art transforme la matière en sens, comme l’intelligence et la mémoire émergent peu à peu à travers nous, notre histoire d’humanité et notre propre enfance. Il fait passer du chaos au cosmos.

    Les Muses étaient les filles de Zeus, l’éclair de l’inspiration, et Mnémosyne, la mémoire.

    Créer, c’est une forme d’androgynie, d’union intérieure retrouvée, où on se donne et reçoit à la fois, et on met au monde. Retour à cet état qui est dit primordial par beaucoup de traditions.

    La Beauté, forme du Vrai, disait Platon. L’astrophysicien Trin Xuan Thuan qui croit à l’existence d’une dimension des Idées assez semblable à celle de Platon, dit que la beauté d’une équation, d’une formule, est souvent le signe de sa vérité, c'est-à-dire de sa vérification à venir dans la logique et de son application dans la matière éventuellement, ou dans la vie en général. Livre : « L’infini dans la paume de la main », avec Matthieu Ricard. ( William Blake : « Tenir l’infini dans la paume de la main, et l’éternité dans une heure. »)

    Les chercheurs scientifiques qui n’excluent rien du Réel et vont au plus intime ou au plus vaste de la matière en arrivent à parler du monde en termes d’œuvre d’art, de musique par exemple, parce qu’ils ont touché au point d’intelligence des choses, et ils résonnent alors autant qu’ils raisonnent. Ceux qui ne font que répéter leurs paroles répètent plus une croyance, dépourvue de cette vibration que les découvreurs ont.

    La macrophotographie ou les télescopes nous révèlent ce que l’œil généralement ne peut voir, des vues sur la matière onde-particules-vide et ses équilibres où nous ne voyons parfois que chaos.

    Un ami, flutiste et professeur à la Schola Cantorum de Bâle ( pour les connaisseurs ), me disait qu’à travers les concerts qu’il donnait par ailleurs dans un groupe de pop, il comprenait en quelques instants toue la vie, et c’était quelque chose d’à la fois très beau mais très dur à intégrer ensuite, la retombée était difficile, comme après une extase. Ça peut être très déséquilibrant.

    Les soufis parlent du sama’ : l’audition du concert cosmique de la création, quand on se met à l’écoute du monde ou d’une musique, ou qu’on répète le nom de Dieu. Rilke en parlait aussi autrement. Les soufis parlaient aussi de la danse des soleils et des atomes, et des soleils présents à l’intérieur d’un atome ouvert … au Moyen-âge. L’art reflète tout cela.

    L’art relatif dirait les lois stables de la création, l’art quantique sa liberté.

    La beauté est épanouissement de la vie, parfois avec des détours et des méandres, souffle et lumière qui passent au sens physique et psychologique. Nous sommes composés de cela : ondes, lumière, suspendus à notre respiration. Quand l’art les donne à voir, nous nous souvenons de notre Nature, comme de celle du monde.

    Très concrètement, l’iconographie étudiée raconte aussi l’histoire du monde.

    Le symbole est un langage très riche, polysémique : l’art en l’utilisant permet de faire comprendre les lois de l’Univers et de l’esprit qui s’expriment à travers lui. Ex : le lion, le cheval, le soleil.

    Par art, j’entends aussi artisanat, technique au sens grec de « technei » je crois : l’artisan qui a souvent des secrets de confréries, reflète les lois du monde dans les lois de son art, sa technique et son résultat : la cathédrale est Univers à la fois physique et spirituel. Pour les athées, disons que l’artiste peut élaborer par l’art des fractales de sens et de formes de l’Univers, pas de la même géométrie qu’une coquille d’escargot ou une plage de sable, mais avec ses lois propres qui sont aussi universelles, ou en tous cas beaucoup plus vastes. Ce sont les chefs d’œuvres, œuvres-univers qui peuvent être d’une simplicité désarmante : parfois quelques notes, quelques lignes, évidentes mais pourtant jamais mises à jour.

    L’artisanat et la technologie nous permettent de percevoir et concevoir – penser et créer – le réel.

    Les tissages symboliques des civilisations : tapis, kilims, soies, tapisseries, tentures… résument l’image du monde des peuples.

    Le symbole permet de télécharger même inconsciemment, c’est presque toujours le cas, comme tout ce qui est essentiel, la polysémie de son enseignement. Il est synchronique et non localisé, souvent « éternel » et « universel », c'est-à-dire non localisé dans l’espace et le temps. Jung l’a exprimé à sa façon en parlant d’archétypes et d’inconscient collectif dont l’art (légendes, mandalas, toutes œuvres « universalistes » ) est le support. Mais cela n’exclut pas la subjectivité de l’artiste, sa touche, il interprète ces universaux comme une mélodie réjouées et réécoutées à l’infini, comme on le fait des ragas en Inde encore, ou dans le jazz. Et je ne réduis pas l’art à cette seule forme.

    Un scientifique anglo-saxon en fait aussi des symboles un langage du futur très efficace.

    Le didactisme n’est pas art, on le sait et on le sent, car l’art touche autre chose que la raison dialectique, la mémoire, l’éduqué, il est plus rapide et puissant, plus beau, même s’ils sont aussi beaux et nécessaire à leur place propre. La vie courante est diachronique, la vie coulante est synchronique.

    L’étude du rêve, sous différentes formes, dans le passé comme dans les différentes formes de psychologie, montre le fonctionnement analogique de l’esprit. Comprendre son langage, c’est comprendre les lois de l’esprit. L’art fonctionne comme le rêve dans sa partie conception et permet aussi, interprété, de comprendre le rêveur, comme l’Univers permet de comprendre ce qui le crée et le soutient ou le détruit.

    François-Marie

                   

     

Séances précédentes :

Passion, désir, besoin

La fonction du désir

Le corps, la jouissance et le langage

La jouissance au coeur des contraires

Bilan 2011/2012

Peut-on penser/maîtriser le changement ?

Quelles règles ? Détermination du thème.
Peut-on penser/maîtriser le changement ?
Doit-on connaître pour maîtriser ?
Le changement : contrainte ou choix ?
Que devons-nous changer ?
Qu'est-ce que penser le changement ?
Le rôle de l'intersubjectivité dans la pensée et la maîtrise du changement ?
Changement ou éternel retour ?
Fin du thème : Peut-on penser/maîtriser le changement ?

L'origine de la notion de réalité.

L'origine de la notion de réalité
Est-ce qu'on voit ce que l'on croit ou est-ce qu'on croit ce que l'on voit ?
Toute pensée est-elle une réalité ?
Au commencement, était-ce le Verbe ?
La conscience est-elle dans la réalité ?
Le réel est-il intelligible ?
Le réel comme présence ou comme croyance ?
Comment le faux peut-il produire le vrai ?
Le rôle de l'émotion dans la recherche de la vérité ?